


Tony Capellan
Mar Caribe
2006, version 2009
Tongues avec fil de fer barbelé (détail)
Dimensions variables
La pièce Mars Caribe représente des centaines de tong itilisés, aménagé sur le plancher comme une étandue bleu et verte qui rappelle de la surface de la mer des Caraïbes. L'artiste a recueilli ces sandales, qui sont couramment portés en République dominicaine, le long des rives de la rivière Ozama à Saint-Domingue, où elles avaient échoué. Tony Capellan remplace les sangles des sandales par des barbelés. Cette chaussure ordinaire devient un symbole de la misère sociale, écologique et politique, la sous-cotation, le stéréotype de pays des Caraïbes paradis tropicaux isolées.
Tony Capellan :
Au bord de l’eau, à Saint Domingue, c’est mon espace préféré et tout ce qui arrive par la mer m’inspire. Ce que rapporte la mer aujourd’hui est à l’image de ce qu’elle rapportait. Il y a 500ans sont arrivés des navires qui ont créé une nouvelle culture. Et pourquoi cette même mer n’apporterait-elle pas des choses qui témoigneraient de l’histoire de cette région, de ce qui se passe ici : la présence impérialiste, le pétrole et tous ses dérivés…La majeure partie des objets que je récolte sont en plastique, et le plastique c’est du pétrole transformé. Le plastique est un catalyseur de ce qui se passe dans notre histoire. Tout est fait en plastique. Ces objets en plastique tombent à la mer et sont spécifiques à chaque situation sociale, à chaque pays. Ces produits arrivent sur la plage et moi qui me promène souvent au bord de la mer, j’ai commencé à les ramasser et à construire des histoires.
Avec Mar Caribe, j’ai entrepris ma série d’oeuvres multiples ; ce sont des oeuvres qui vont toujours m’appartenir et que je continuerai à faire tant que la mer m’apportera des objets, tant que les situations sociales qui les soutiennent perdureront. Ma théorie est que le jour où il n’y aura plus de pauvres pour perdre leurs sandales, leurs tongs, ce jour-là, je ne pourrai plus continuer à travailler. Tant qu’il y aura des pauvres qui perdront leurs chaussures, je pourrai continuer mon oeuvre.
Source : " De la récupération à la re-création " .pdf
Il transforme les tongs en autre chose. Elles ne sont plus un objet utilitaire parce qu’elles ont été portées et jetées comme des déchets. Il les recycle en se servant de leur caractère pauvre et délaissé pour dire autre chose. Elles deviennent une oeuvre, quelque chose que l'ont regarde et qui nous donne à réfléchir. Elles deviennent un volume qui nous interroge et nous fait prendre conscience.
Tony Capellan construit des histoires. Il dit beaucoup avec très peu d’éléments, c’est ce qu’on appelle en littérature une litote. Les sandales sont poreuses, vieilles, d’un bleu ou d’un vert délavé; elles sont des témoins de la vie dure de personnes qui ne sont pas riches, elles portent l' histoire des gens de la région de Saint-Domingue.
De nos jours un nombre incalculable d'objets est fait en plastique et ne coûte pas cher. Ici le plastique des sandales agit comme un catalyseur pour révéler cette réalité, car elles sont chargées d'un vécu. À travers sa pièce, l'artiste prend en compte la réalité, il se soucie du sort des pauvres, il parle de la pauvreté des habitants de Saint-Domingue,.
Plus il y a de pauvres et plus il y aura de tongs ou tant qu’il y aura des pauvres, il y aura des tongs. Par conséquent la forme de l'installation est variable elle ne sera jamais terminée. Elle changera de dimension en fonction de la quantité de sandales que Capellan trouvera et récoltera. C’est une dimension critique supplémentaire qui nous donne mauvaise conscience quand on voit cette mer figurée par les tongs.
Les sandales sont en plastique, le plastique est fait à partir de pétrole et le pétrole connote le "Pouvoir", un pouvoir qui opprime les pauvres. À travers l'industrie et la puissance des marchés, l’Occident domine avec « ses tongs". Elles deviennent un produit imposé par l’Occident et porté par les pauvres de Saint-Domingue.
Les sandales deviennent une grosse masse bleue recouverte de fils barbelés. Capellan assemble au sein d'un même espace, un objets venu d'Afrique (Égypte) transformé en passant par l'Asie et l'Occident (plastique recyclé), associé à des fils barbelés, et l'image stéréotype que l'on se fait de la Caraïbe.
De loin cette pièce agit comme une métaphore de la mer des Caraïbes, la métaphore de la vision exotique du regard occidental : celui que l'on se fait de la Caraïbe, c'est à dire de l'eau bleu turquoise et un paradis sur terre et qui n'est en fait qu'une fausse réalité. Quand on s’approche, on voit la porosité et l’usure des tongs et les sangles en fils barbelés qui sont l’évocation d’un piège, celui d'être enfermé et piégé dans une histoire de pauvreté, la vraie vie cachée derrière le stéréotype.